Dans cet échange, Marie-Eve Desrosiers partage avec franchise sa vision du leadership en milieu hospitalier, entre gestion humaine, complexité organisationnelle et volonté d’impact. Elle revient sur ses convictions et les défis quotidiens d’une PDG engagée au cœur du CHUM.

Stéphanie Doyle : Quels sont les principaux défis auxquels le CHUM est confronté aujourd’hui?

Marie-Eve D. : Ce serait difficile de répondre à cette question sans nommer la situation financière du réseau et du Québec. C’est notre défi premier. Je nommerais aussi, la nécessité de nous adapter à la nouvelle réalité entourant la mise sur pied de Santé Québec. C’est certain que c’est un gros défi, notamment parce que ça signifie de nouvelles façons de faire. Des discussions sont en cours sur la mise en commun de ressources, sur la façon dont nous allons travailler ensemble, etc. C’est une des réformes les plus importantes que le réseau a vécu jusqu’à présent et nous devons réfléchir comment accompagner les équipes, comment naviguer dans un environnement qui comporte des éléments d’incertitude.

Stéphanie Doyle : Santé Québec a été mis en place il n’y a pas si longtemps, au 1er décembre dernier. As-tu de l’espoir pour le futur?

Marie-Eve D. : Toujours, sinon je ne serais pas là! Je suis optimiste, mais cela ne veut pas dire que cela va être facile. Si on se rappelle qu’on est tous là pour la même raison, c’est-à-dire les patients et les citoyens, ça va marcher. Il faut laisser tomber certains incitatifs ou préoccupations plus individuelles. Si on priorise le bien commun, ça va marcher.

Nous avons tous avantage à ce que ce nouveau modèle organisationnel fonctionne. Il y a des débats constructifs sur différents sujets actuellement et c’est sain d’avoir ces discussions. De nouvelles personnes sont en poste, avec des regards nouveaux et il y a des gens qui sont là depuis des années, avec toute leur expertise. Le mélange des deux, c’est ce que ça prend. Le regard neuf est très aidant pour nous emmener ailleurs, mais l’expertise et la mémoire des individus qui sont là depuis longtemps est aussi un incontournable. Il faut tous travailler dans la même direction.

Stéphanie Doyle : Je vous souhaite énormément de succès, car les défis sont nombreux et il est essentiel que cela fonctionne.

Marie-Eve D. : Tout cela va passer par des choix que l’on va devoir faire tous ensemble comme réseau et comme société. C’est la population qui nous motive, c’est elle qui nous réunit et guide nos actions. C’est ce qui motive les équipes, c’est pour elle qu’elles se lèvent le matin. Nous savons que ce ne sont pas forcément les conditions les plus attractives, mais les gens y vont avec cœur, avec conviction et humanisme.

Stéphanie Doyle : Nous voyons ce qui se passe aux États-Unis du côté de la recherche, notamment avec les compressions budgétaires. Mais nous avons vu aussi que l’Université de Montréal a annoncé un fond de 25 M$ pour attirer des chercheurs de haut calibre. Comment vous vous positionnez par rapport à cette initiative?

Marie-Eve D. : Nous sommes le CHU de l’Université de Montréal : on est tissés serrés! Tout défi est une opportunité. C’est comme ça qu’on l’aborde. Nous allons nous assurer de mettre de l’avant des conditions gagnantes pour attirer ces gens-là. Nous avons plein d’idées sur lesquelles nous travaillons. Mais nous devons rester équitable avec nos chercheurs. Nous ne créerons pas de système à deux vitesses.

Stéphanie Doyle : Est-ce que la nouvelle a été bien reçue par la communauté de chercheurs de Montréal?

Marie-Eve D. : Majoritairement oui! On a tous le souhait de se positionner de façon plus importante à l’international tant au CHUM qu’à l’Université de Montréal, et dans le réseau de la santé. Nous devons être fiers de notre accès aux soins universel. Avec des conditions équitables, cela va nous aider à nous propulser davantage sur la scène internationale. Lorsqu’il y a une crise, il faut saisir les opportunités.

Stéphanie Doyle : En tant que responsable de plusieurs équipes, quelles actions mets-tu en place pour favoriser la collaboration entre elles?

Marie-Eve D. : La notion de collaboration est très présente dans mon quotidien. Nous venons d’ailleurs de revoir nos valeurs et cela a été un choix collectif de dire que la collaboration en faisait partie. Nos nouvelles valeurs sont : audace, apprentissage continu, collaboration et bienveillance. Nous avons choisi l’audace pour le dépassement, aller toujours plus loin, l’excellence et oser prendre des risques. On ne peut pas se dépasser si on prend jamais de risques. Il est aussi important de rappeler aux gens notre point commun qui est la population… Je dirais aussi que cela passe par des pratiques de reconnaissance. Ce que je vais féliciter, ce sont les réalisations de groupe, dans lesquelles il y a eu des réflexes de collaboration. C’est ce que nous mettons en lumière comme organisation. Au risque de paraître cliché, un de mes dictons préférés c’est : “Seul on va plus vite, mais ensemble on va plus loin.” Il faut se le rappeler au quotidien car c’est tentant de partir seul avec le ballon quand il y a des urgences. Mais cela nous rattrape et nous n’avons pas l’impact souhaité. 

Stéphanie Doyle :  Étant au CHUM déjà depuis plus de 9 ans, tu as récemment intégré officiellement ton poste de présidente-directrice générale. Qu’est-ce que tu trouves justement de plus gratifiant dans ton nouveau rôle?

Marie-Eve D. : Plein de choses! C’est, certes une grosse responsabilité, mais c’est surtout un immense privilège d’être à la tête d’une organisation comme le CHUM. Réfléchir, construire et concrétiser notre vision d’avenir avec la communauté CHUM, c’est quelque chose de très gratifiant et instructif. Il est clair que notre vision doit se traduire par un impact concret sur les citoyen.nes du Québec. Et j’aime apprendre tous les jours. Je me retrouve souvent en dehors de ma zone de confort, mais je suis bien entourée! J’aime beaucoup aller chercher de l’inspiration parmi les meilleurs établissements de santé dans le monde, pour s’y comparer avec un esprit critique et s’améliorer. Mais ce qui est aussi très gratifiant dans ce type de rôle, ce sont les petits succès. Cela peut-être un dossier que l’on règle enfin ou un processus que l’on simplifie et clarifie. Ce sont des petites victoires du quotidien.

Mais LA chose la plus gratifiante, ce sont les témoignages de patient.tes. Et nous en avons régulièrement. J’ai la chance d’en côtoyer souvent, nous en avons deux sur notre comité de direction. Ils sont membres à parts égales avec les autres directeurs.

Je parlais dernièrement à une dame dont la mère, citoyenne canadienne, a reçu un diagnostic de cancer du poumon il y a quelques années, et qui est maintenant en rémission. Cette dame me disait que, malgré leurs origines françaises et le fait d’avoir des frères et sœurs vivants au Japon et aux États-Unis, ils voulaient simplement amener leur mère là où les meilleurs soins étaient disponibles. Et c’est au CHUM qu’ils ont décidé de la faire traiter. Ils ont eu confiance et le résultat a prouvé qu’ils ont pris la bonne décision.

Les témoignages ne sont pas uniquement à propos de notre expertise, mais réfèrent aussi à l’humanisme. Les usagers mentionnent souvent la façon dont on a pris soin d’eux. Du préposé dans le stationnement, à l’accueil et jusqu’aux cliniciens, notre approche humaine est palpable partout.

Stéphanie Doyle : Quelle leçon as-tu tirée depuis le début de l’année?

Marie-Eve D. : Tout peut arriver et il ne faut pas s’asseoir sur nos acquis. Il faut toujours se tenir debout pour nos valeurs et principes. Ce sont mes principales leçons des derniers mois. Et à travers tout ça, il faut cultiver sa tolérance a l’ambiguïté, les compétences d’adaptation… On ne s’en sort pas sans tout ça.

Stéphanie Doyle : Quels sont tes plus grands défis en ce moment?

Marie-Eve D. : Au niveau professionnel, je dois garder les équipes mobilisées et engagées. Et je souhaite faire cela tout en étant toujours transparente avec eux et accessible car c’est au cœur de mon approche.

Je dois aussi m’assurer que le CHUM demeure un chef de file et qu’il aille encore plus loin. Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre du terrain. Nous devons le faire pour la société québécoise au complet. Nous ne pouvons pas abandonner la population. C’est aussi un gros défi.

Et sur un plan plus personnel, c’est tout simplement de bien guider mes enfants dans la vie. J’ai 6 enfants à la maison alors c’est tout un défi de les guider dans la vie de la meilleure façon. Être parent, c’est le métier le plus dur ! Je dois aussi garder un bon équilibre vie personnelle et vie professionnelle. J’ai longtemps été vigilante sur cet aspect, pour des raisons personnelles. Et aujourd’hui, je réalise que cela a eu un impact sur d’autres personnes autour de moi. J’ai régulièrement des témoignages de femmes qui me disent que mon approche les inspire, les aide à se sentir légitime pour privilégier aussi cet équilibre. Tant mieux si c’est un modèle déculpabilisant!

Stéphanie Doyle : Ton parcours est très inspirant. Quel message aimerais-tu transmettre aux jeunes femmes qui souhaitent concilier une vie de famille et une carrière comme la tienne?

Marie-Eve D. : Je leur dirais de suivre ce qu’elles ont envie de faire, de ne pas choisir entre l’un ou l’autre. Si elles ont envie des deux, qu’elles se lancent ! Il n’y a pas d’obligation de faire un choix. On peut faire les deux. L’important c’est d’être passionnée, bien entourée et être indulgente parfois envers soi-même. Mais surtout, écoutez-vous!