Stéphanie Doyle : On parle beaucoup en ce moment de financement et d’accès au capital dans un contexte économique incertain. Comment voyez-vous l’impact de cette conjoncture sur les entreprises en sciences de la vie?
Maxime Pesant : Le marché du financement est au ralenti, et les marchés publics ne sont pas plus dynamiques. L’imprévisibilité de l’administration américaine, notamment en lien avec les tarifs, affecte aussi les pharmaceutiques. Bref, il y a beaucoup d’incertitudes, et les investisseurs prennent davantage de temps avant de décider de leurs prochains placements, ce qui freine le dynamisme.
Cela dit, le Québec et le Canada possèdent de solides atouts : un bassin de talents, un environnement favorable à l’innovation et un esprit entrepreneurial fort. Il faut capitaliser sur ces forces. Bien que nous ayons ces actifs , le secteur reste sous-financé, en particulier en termes d’investissements d’anges financiers et institutionnels. Pourtant, le secteur des sciences de la vie et des technologies de la santé est très rentable pour les investisseurs. Les entreprises performantes génèrent des rendements significatifs tout en ayant un impact concret sur la santé et l’innovation, ce qui fait de ce secteur un terrain d’investissement à la fois stratégique et à fort potentiel.
S.D. : Mais ce manque n’existait-il pas déjà avant la conjoncture actuelle?
M.P. : En effet, ce n’est pas nouveau. On peut même remonter à 2002, quand j’ai débuté en sciences de la vie à la Caisse de dépôt. Bien que l’effet de Biochem Pharma était encore très présente, et il y a eu dès cette époque un retrait de l’investissement institutionnel. Ce sous-financement structurel est encore lié aux enjeux d’aujourd’hui. Il nous faudrait plus de capital pour mieux financer nos fonds, nos compagnies et, idéalement, soutenir des entreprises d’ancrage.
Depuis sa création en 1983, le Fonds de solidarité FTQ s’est justement donné comme mission de conjuguer rendement et impact, même dans les périodes économiques difficiles. Nous restons concentrés sur l’innovation, car la maladie ne prend pas de pause. Depuis un an, nous avons réfléchi à notre stratégie et confirmé notre confiance envers le secteur des SVTS. Nous voulons soutenir le talent entrepreneurial, accompagner le démarrage d’entreprises — de façon sélective, car nous ne pouvons pas assumer tous les risques — et demeurer très actifs dans l’écosystème. Nous souhaitons toujours être impliqués activement dans le secteur, également avec Montréal InVivo et d’autres associations. Et il est important de rappeler que les investissements en sciences de la vie et technologies de la santé sont rentables: le Fonds investit dans ce secteur depuis plus de 35 ans, et cela nous procure un rendement très intéressant.
S.D. : Au-delà du financement, quels autres enjeux observez-vous?
M.P. : Le transfert technologique est un vrai défi. Nos universités génèrent de belles innovations, mais les entrepreneurs trouvent souvent le processus d’accès long et fastidieux. L’amorçage est aussi très difficile pour les jeunes entreprises. Enfin, nous devons veiller à offrir aux talents d’ici de réelles perspectives de développement.
S.D. : Est-ce que cela crée un risque de voir ces entreprises quitter le Québec?
M.P. : C’est possible. L’Europe, notamment le Royaume-Uni, déploie des mesures très attractives pour attirer chercheurs et entrepreneurs, ce qui crée une concurrence internationale directe pour nos talents. Si nous n’investissons pas davantage dans la recherche et l’innovation, nous risquons de perdre des experts au profit de ces marchés étrangers. L’attrait américain reste aussi très fort, surtout en raison d’un meilleur accès au capital et de conditions financières favorables. Il faut toutefois rappeler que la difficulté de financement est un enjeu mondial : même nos partenaires américains rencontrent des obstacles similaires. Dans ce contexte géopolitique, beaucoup dépendra des politiques publiques que nous mettrons en place pour rester compétitifs, retenir nos talents et nos entreprises.
S.D. : Quels projets récents illustrent bien l’impact du Fonds de solidarité FTQ ?
M.P. : Nous avons annoncé récemment la création d’Oligon Therapeutics, une entreprise spécialisée dans les médicaments ARN multi ciblage. C’est notre partenaire CTI qui a repéré cette technologie et qui a permis d’installer son siège social au Québec, renforçant ainsi la filière ARN. Nous suivons ce projet depuis 2022 et il montre bien que la création d’entreprises demande du temps et des ressources, mais qu’avec des partenaires engagés, le résultat est très puissant. La compagnie pourra aussi développer des talents locaux au fil de sa croissance.
Un autre exemple est Epitopea, issue des recherches du Dr Claude Perreault à l’Université de Montréal sur des antigènes spécifiques liés au cancer. Ce sont des projets dont nous sommes très fiers, car ils démontrent l’importance d’une implication active dans l’écosystème.
S.D. : Qu’est-ce qui vous passionne dans le secteur des sciences de la vie?
M.P. : L’impact. Voir que nos investissements contribuent au développement de médicaments contre le cancer ou des maladies débilitantes, c’est ce qui donne du sens à notre travail. Il arrive qu’on croise des personnes directement touchées par les maladies sur lesquelles on travaille : constater l’espoir que cela suscite, c’est extrêmement fort . Cela reflète parfaitement la mission du Fonds: générer des rendements tout en améliorant la santé des patients.
S.D. : Et dans votre rôle au Fonds de solidarité FTQ?
M.P. : Ce qui m’a attiré en premier lieu, c’est l’équipe. Après 14 années passées chez AmorChem, j’avais envie de franchir une nouvelle étape dans un nouveau rôle et de rejoindre un milieu partageant une vision commune. Au Fonds, j’ai trouvé des collègues à la fois passionnés, compétents et profondément alignés avec les valeurs de l’organisation. Cette cohésion et cette énergie collective m’ont donné envie de m’y investir pleinement. Aujourd’hui, c’est un privilège non seulement de diriger cette équipe, mais aussi de contribuer, à travers elle, à avoir un impact concret et positif sur la société.
S.D. : Et comment trouvez-vous l’équilibre entre vie professionnelle et personnelle?
M.P. : Je suis encore en apprentissage, mais trois choses m’aident : aimer mon travail, être présent pour ma famille et pratiquer du sport. Avec ma conjointe, nous sommes deux parents professionnels, alors je dois être vigilant et sélectif dans mes engagements. Je ne réponds jamais aux courriels la fin de semaine, c’est une règle que je respecte. Le sport m’apporte aussi beaucoup : je cours régulièrement, je cherche constamment à me dépasser et je pratique le ski alpin, une de mes grandes passions. Cela m’aide à garder l’équilibre.
Pour mieux comprendre le paysage du financement au Québec et identifier les sources de capital disponibles pour les entreprises en sciences de la vie, découvrez nos cartographies détaillées du financement :