Pharmacien de formation, Vincent Raymond a plongé dans la pharmacoéconomie avant de bifurquer vers les relations gouvernementales dans l’industrie pharmaceutique, poussé par sa passion pour la politique. Entre tensions commerciales, impact sur les chaînes d’approvisionnement et enjeux de santé publique, il nous partage son regard sur les tarifs imposés par Trump et l’incertitude qui plane sur l’industrie pharmaceutique. Note : les opinions émises représentent celles de notre expert.

 

Stéphanie : Quelle a été ta première réaction face à l’annonce des tarifs imposés par Trump ? On a appris que les produits pharmaceutiques figurent parmi les cibles, et du côté canadien, on parle déjà de contre-mesures. Tout évolue très vite. Comment perçois-tu cette situation ? 

Vincent R. : Tout évolue très vite, et l’incertitude s’installe. Pour les entreprises, la prévisibilité est essentielle, mais ces annonces créent un climat instable, notamment pour les chaînes d’approvisionnement. Il est encore trop tôt pour évaluer les impacts. Bien que certains de nos produits soient importés des États-Unis, nous avons une chaîne d’approvisionnement mondiale avec des sites de fabrication situés partout dans le monde. Tout dépendra de la mise en œuvre concrète dans les mois à venir. Ce qui inquiète, c’est la pression que ces mesures peuvent exercer sur les chaînes d’approvisionnement. Comme en pandémie, un stress peut provoquer une augmentation rapide de la demande et mener à des pénuries. Dans le secteur pharmaceutique, les prix sont encadrés, particulièrement au Québec. Impossible de simplement refiler les hausses aux consommateurs : qui devra absorber les coûts dans un tel modèle? On ne sait pas encore si des médicaments essentiels seront touchés. Mais des contre-tarifs canadiens pourraient aggraver les risques. Ce que l’industrie cherche, c’est la stabilité. La vision politique va vite, mais bâtir une capacité industrielle prend des années. Et ce sont souvent les patients qui en subissent les conséquences. Un médicament, ce n’est pas un luxe ou un bien de consommation comme les autres — c’est vital. 

 

Stéphanie : C’est clair que c’est une situation stressante. Et ce n’est pas seulement une question industrielle, ça nous touche aussi comme citoyens. Comment fais-tu pour gérer cette pression au quotidien ? 

Vincent R. : Dans mon rôle, il faut savoir faire abstraction du bruit. Ma priorité reste claire : assurer un accès rapide aux traitements pour les patients ainsi qu’aux vaccins qui peuvent jouer un rôle important dans la prévention. Je reste informé, je lis beaucoup pour élargir mes perspectives, mais je me concentre sur ce que je peux contrôler. Et sur le plan personnel, je me déconnecte des réseaux, je passe du temps dehors, avec ma famille. Revenir à l’essentiel, c’est ce qui donne du sens au quotidien. 

 

Stéphanie : Y a-t-il des projets qui t’enthousiasment en ce moment ? 

Vincent R. : Ce n’est pas un projet précis, mais une envie profonde de créer ensemble. La collaboration est essentielle pour relever les grands enjeux. Des organisations comme Montréal InVivo sont clés pour rassembler les acteurs. Mon ambition : aider à bâtir un cadre plus agile pour intégrer l’innovation au Québec et améliorer la vie des patients. À long terme, j’aimerais qu’on crée un écosystème si fort qu’il attire les chercheurs du monde entier. Il faut raconter des histoires qui donnent envie d’y croire… et d’y investir. Chaque intervenant a un rôle à jouer et doit faire partie de la solution. 

 

Stéphanie : Si tu avais une baguette magique pour qu’on adopte des innovations plus rapidement dans notre réseau, ça ressemblerait à quoi ? 

Vincent R. : Dans un monde idéal, dès que Santé Canada approuve un produit — donc qu’il est jugé efficace et sécuritaire pour la population — on pourrait déjà enclencher la suite. Présentement, plusieurs intervenants travaillent en séquence pour répondre aux questions : est-ce que ça fonctionne ? est-ce que c’est sécuritaire ? est-ce que ça vaut l’investissement ? avons-nous la capacité de payer? Chacun a son rôle à jouer certes, mais tout ça prend énormément de temps, trop de temps. Si tous les intervenants  en arrivaient à travailler davantage en parallèle, à mieux intégrer les étapes, on pourrait faire une vraie différence. 

 

Stéphanie : Donc on garderait les mêmes acteurs, mais au lieu de travailler chacun leur tour, ils collaboreraient en tandem. Et forcément, ça réduirait les délais. 

Vincent R.: Exactement. Aujourd’hui, il se passe en moyenne 730 jours — deux ans complets — entre l’avis de conformité de Santé Canada pour un nouveau médicament et l’inscription sur les listes de remboursement des régimes publics au Canada. C’est trop long. De fait, les patients québécois et canadiens sont souvent parmi les derniers à avoir accès parmi les pays de l’OCDE.  

 

Stéphanie : Dernière question : quelle est la plus grande leçon que tu as retenue depuis le début de 2025 ? 

Vincent R. : Ce qui ressort, c’est cette fierté collective et la volonté d’avancer ensemble. Tant qu’on travaille en silo, on stagne. Il faut rassembler l’écosystème, se parler, s’écouter et agir dans la même direction. L’enjeu de l’indépendance économique face aux États-Unis nous pousse à réfléchir : que peut-on améliorer ici, au Québec ? On l’a prouvé pendant la pandémie : quand on se mobilise, on avance. Retrouvons cette énergie. Si le gouvernement veut miser sur des secteurs stratégiques où le Québec a un avantage compétitif, les sciences de la vie doivent en faire partie. Les patients auront toujours besoin de solutions de santé — alors aidons ceux qui les développent. Ça commence par plus de dialogue en amont entre tous les intervenants en plaçant les préoccupations des patients au centre. Personne n’y arrivera seul. 

 

Stéphanie : C’est vrai, pendant la pandémie, on est tous entrés dans l’arène en même temps. Il y avait un élan collectif. 

Vincent R. : Oui, notamment pour les vaccins. Au Canada, on s’est mobilisés. Tout le monde a mis l’épaule à la roue. On a travaillé fort pour offrir un accès rapide à la population canadienne. 

 

Stéphanie : Et au début, on ne savait même pas si on allait y survivre… Ce n’était pas juste une question d’économie ou de portefeuille. Ça touchait à la vie, à la mort. 

Vincent R. : Exact. C’est comme un tsunami après un tremblement de terre en plein océan. Au début, tout semble calme. Puis, quelques heures plus tard, ça frappe. C’est pareil avec les chaînes d’approvisionnement : les effets sont décalés dans le temps. L’impact économique se fait déjà sentir sur les marchés boursiers. Comme le Canada importe davantage de médicaments qu’il en exporte, notre secteur pourrait finir par subir les conséquences de chaînes d’approvisionnement instables à l’échelle mondiale à moyen-terme si la situation actuelle ne se corrige pas. Le chemin à parcourir ne sera pas facile, mais en adoptant une approche constructive et en nous concentrant sur les solutions, nous pouvons transformer cette situation en une chance de bâtir un système de santé au bénéfice de tous les Canadiens.  

 

Stéphanie : Merci Vincent !